Un
entretien entre tenu avec le vice président des FLAM Ibrahima Mifo
Sow dans le cadre des préparatifs de retour au pays après plusieurs
années d’exile et de lutte pour trouver une solution sur la
cohabitation et l’unité nationale entre toutes les composantes
nationales.
Essirage.net :
Pouvez- vous nous parler des FLAM ? Quel est votre position par
rapport à la scène nationale, régionale et internationale ?
Et comment il est structuré ?
I.M.S :
Bon, d’abord, c’est les FLAM (Forces de Libération Africaine de
Mauritanie), mais, le plus souvent, les gens considèrent que c’est
un front, c’est pourquoi, ils disent le FLAM mais c’est les FLAM.
Ceci dit, les FLAM ont été créées ici, en Mauritanie, en 1983.
C’est une organisation issue d’une fusion de quatre autres
organisations de tendance négro-africaine qui luttaient pour la
même cause, à savoir la fin du racisme et les discriminations
raciales ici, en Mauritanie. Donc, tout le monde sait ce qui s’est
passé en 86 ; nous avons publié un document important qui
recense toutes les discriminations raciale en Mauritanie, un document
complet avec des statistiques irréfutables ; nous l’avons
intitulé « le Manifeste du Négro-africain opprimé ». A
vrai dire, c’est un manifeste qui signe un petit peu la naissance
de la résistance africaine contre les discriminations érigées en
système de gestion de l’Etat mauritanien. Donc après cela, il y a
eu une répression terrible contre les membres de cette organisation,
si bien que, par la force des choses, nous sommes obligés d’aller
en exile. Ceux qui n’ont pas été mis en prison, on se rappelle
que certains de nos militants ont été envoyés à Walata, notamment
les dirigeants de cette organisation, et certains d’entre eux y
sont restés, ont perdu la vie parce qu’on les y avait envoyés
pour qu’ils ne reviennent pas, c’était pour les tuer et c’est
ce qu’on leur dit quand ils sont arrivés. Donc, les autres sont
allés en exile, ceux qui ont pu échapper à cette purge-là, à
cette chasse aux sorcières, d’abord, au Sénégal, puis en France,
puis en Côte d’Ivoire et un peu partout à travers le monde. Si
bien qu’en exile, notre organisation est très dispersée. Nous
avons des sections dans certains pays africains, nous avons des
sections en Europe et en Amérique. Donc structurellement, les FLAM
sont dispersées pratiquement sur les quatre coins du monde. Nous
avons ici une représentation à l’intérieur de pays.
Dans
nos actions, nous sommes une organisation politique ; l’objectif
pour nous, c’est de changer la nature de cet Etat, notre Etat, la
Mauritanie, la nature raciste et discriminatoire esclavagistes. Notre
combat est tourné contre cela, contre les discriminations raciales
et sociales ; il faut donc changer cet Etat, créer un Etat de
droit qui respecte les identités nationales, qui respecte la
justice, qui respecte légalité, qui respecte la liberté pour tout
le monde. Pour y arriver maintenant, il y a une organisation, un
appareil politique qui a été mis en œuvre. Cet appareil-là, nous
l’avons appelé les « FLAM », nous avons une stratégie
de combat, à l’intérieur et à l’extérieur. A l’extérieur,
plus précisément, nous avons axé notre action sur la
sensibilisation, la sensibilisation, l’information et la
communication pour faire prendre conscience à l’opinion
internationale du racisme qu’il y a eu ici en Mauritanie. En un
moment donné, nous avons comparé ce qui se passé ici en Mauritanie
avec l’Apartheid que subissait l’Afrique du Sud. Donc, dans cette
communication, pour faire changer les choses pour mobiliser l’opinion
internationale par rapport à ce qui se passe ici en Mauritanie, nous
avons des actions envers les medias, envers la diplomatie, des
organisations, des partis politiques et des chefs d’état etc.
C’est une action globale de sensibilisation et de l’information
pour mobiliser l’opinion internationale contre le racisme qui se
passe ici en Mauritanie. Nous avons aussi une actions de
sensibilisation de prise de conscience des populations
mauritaniennes, d’abord les victimes elles-mêmes, sur les victimes
de discrimination raciales, des victimes de l’esclavage pour qu’ils
prennent conscience de leur marginalisation, de leur état de
victimes, puisque c’est quand ces populations vont prendre
conscience de cet état de discrimination, que ces populations seront
en mesure de résister et de changer les choses. Nous avons ici une
action de sensibilisation de l’opinion nationale, la classe
politique nationale pour que les gens sachent que cet état de fait
est dangereux pour notre pays, pour notre unité nationale ;
donc, un combat politique tourné vers l’intérieur et l’extérieur.
C’est essentiellement un combat dans le premier temps de
sensibilisation et de mobilisation des opinions, c’est donc ça les
FLAM, bien sûr qu’il y a des actions concrètes que l’ont fait
par des marches, mais les marches, les manifestations et autres ;
ça participe de la sensibilisation, c’est pour attirer
l’attention, mais, en un moment donné aussi nous avons été
obligés, par la force des choses, de mener des actions plus
rigoureuses de résistance, parce que le régime de Maawiya ne nous
laissait pas la chance de dialogue, la concertation pour que les
problèmes soient réglé. Voilà un petit peu ce que nous faisons.
Essirage.net :
Pourquoi actuellement le redéploiement des FLAM en Mauritanie ?
Est-ce que vous jugez le terrain est devenu propice ou pire
qu’avant ?
I.M.S :
Non ! Non ! A vrai dire, bon les FLAM, pour reprendre ce
que vous venez de dire, sont entrain de se redéployer, sont entrain
de revenir ici en Mauritanie. C’est un processus qui est engagé,
qui est long, qui est délicat, qui demande la mise en œuvre de
beaucoup de choses à la fois. C’est pourquoi, ça prend du temps.
D’abord, nous avons des structures à l’intérieur qui ont été
redynamisées, qui existaient, nous avons notre section du Sénégal
qui a été la première à se redéployer ici sur le terrain. Cette
section conduite par notre camarade Mamadou Wane qui est membre de
notre bureau exécutif national, puis moi-même, je suis là depuis
quelques mois pour mettre la dernière main sur les préparatifs de
ce retour effectif de notre organisation, et notamment le retour du
président SAMBA THIAM qui va venir incessamment avec les camarades
qui sont ici sur le terrain. Nous sommes entrain d’abattre un
travail important de sensibilisation, de mise en place des structures
d’accueil, de contact politique avec toute les classe politique, et
tout cela pour que le retour soit effectif. Est-ce le terrain est
plus propice actuellement ? Eh ! En tout cas nous avons
décidé de revenir, nous avons décidé de revenir parce que nous
avons des préalables que nous avions posés. Nous pensons que parmi
ses préalables-là, il y en a certains qui ont plus ou moins été
satisfaits ou en tout cas sont des préalables qui participent un peu
à décrisper le climat social, le climat politique national. Parmi
ses préalables-là, il y avait le retour des déportés. Nous, c’est
nous qui sommes restés avec ces déportés pendant tout ce temps
qu’ils étaient à l’extérieur. Nous les avons encadrés, nous
les avons soutenus et beaucoup de nos militants eux-mêmes sont des
déportés, nous avions estimé que nous ne pouvions pas revenir,
l’organisation ne pouvait pas revenir tant que ces déportés
restaient encore à l’extérieur. Donc, les déportés ont été
ramenés. L’autre préalable également, il y avait le passif
humanitaire, nous pensons que ce problème là devrait être abordé
sinon, à defaut d’être complètement réglé, au moins que
l’Etat, les autorités montrent une bonne volonté de le régler.
En ce moment, le climat à un dialogue serein pouvait s’instaurer.
C’est pourquoi ces deux préalables-là remplis, nous avons estimé
que c’es normal que nous revenions. Ce n’est pas que tous les
problèmes sont réglé, non ; aucun de ces problèmes de fond
n’a été réglé, c’est là justement le combat des FLAM, que
des problèmes de fond, des problèmes de cohabitation entre les
populations mauritaniennes, entre les composantes nationale. C’est
cela notre combat pour qu’il y ait une cohabitation harmonieuse,
une cohabitation qui respecte les libertés des gens, qui respecte
les identités nationales, qui respecte l’égalité entre les
citoyens et entre les composantes. Ca, c’est un problème qui n’a
pas été réglé. Nous revenons pour participer au règlement de ce
problème ; mais le climat, nous pensons maintenant qu’il est
favorable à ce dialogue. En tout cas, le tour que nous avons fait
de tous les partis politiques, des autorités nationales montrent que
actuellement les gens sont disposés du moins à se parler, c’est
ce que nous avions demandé en 86 en écrivant « le
manifeste du negro africain opprimé », que les Mauritaniens
se parlent entre eux pour régler le problème de leur unité
nationale.
Essirage.net :
Pensez-vous que les événements actuels, qui ont secoué la ville de
Kaédi dénotent d’une connotation raciste où d’un problème
ethnique ?
I.M.S :
C’est tout cela à la fois. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a eu
un événement, l’événement c’est qu’un jeune maure qui a
giflé une femme âgée, c’est une femme negro africaine, ça c’est
l’événement. Maintenant cela a dégénéré parce que ça été
une mauvaise gestion des autorités, des autorités qui étaient
chargées de régler un problème, c’est un problème de fait
divers, n’est-ce pas ! Cela aurait dû régler comme tous les
faits divers. Si ces problèmes avait été pris en charge de façon
efficace, il n’y aurait pas eu des débordements qu’il y a eu.
Mais, là encore la gestion a été discriminatoire parce que le
coupable n’a pas été sanctionné à la mesure du forfait qu’il
a commis. Pourquoi ? Parce que ceux qui étaient chargés de
régler ce problème- là, peut-être, ils ont estimés qu’il y a
eu, pour nous en tout cas, « vision personnel »,
une gestion solidaire parce que les autorités elles-mêmes relèvent
de la même ethnie que le coupable lui-même. Par négligence ou par
complicité, ils n’ont pas fait ce qu’il devait y avoir
maintenant il y a eu des débordements. Pourquoi y a-t-il eu des
débordements de cette ampleur ? Parce qu’il y a une
accumulation de frustrations, de ressentiments. Ces frustrations et
ces ressentiments se sont ressentis comme étant du fait de
discriminations raciales donc cela a créé des problèmes que nous
connaissons tous. C’est que Kaédi et tout le sud de la Mauritanie
sont gérés de sorte que les populations se sentent un petit peu en
état de siège, et ceux qui assiègent ce sud là, généralement
une administration qui relève d’une composante nationale et que
les populations locales, n’est ce pas, sentent cela comme un état
de siège. Il faut dire les choses telles qu’elles sont. Donc c’est
à la fois un fait divers qui a été géré comme tous les autres
crimes politiques et ethniques qui ont été commis ici, c'est-à-dire
certaines populations ont le droit de tout faire sur d’autres
populations. On sait ce qui s’est passé dans les années 89-90, où
on déportait les gens, où on tuait impunément les populations, et
ceux qui ont commis ces forfaits- là n’ont pas été sanctionnés,
n’ont pas été jugés. C’est donc l’impunité, et puisque ces
populations se sentent impunies en commettant ces genres de
crimes-là, c’est cela qui continue et les populations qui ont été
victimes maintenant par l’incident de Kaédi. C’est que si l’Etat
ne règle pas les problèmes que l’état devrait régler, les
victimes elles-mêmes auront tendance à se faire justice. C’est ce
que nous dénonçons depuis toujours, l’impunité, c’est quelque
chose de dangereux pour un état, dans un état tout à fait normal.
C’est cette impunité que nous avons dénoncée devant le président
de la république quand nous eu la chance, l’occasion de le
rencontrer. Pour lui dire que les crimes, ce qu’on appelle le
passif humanitaire ne doit pas rester impuni. Sinon c’est
l’impunité qui va se perpétuer et un jour ou l’autre, les
populations victimes elles-mêmes vont prendre en charge, n’est- ce
pas, leurs s problèmes et ça sera une vengeance, une spirale sans
fin, et c’est dangereux pour notre pays. Donc c’est un fait
divers qui a débordé parce qu’il y avait un soubassement de
frustrations et d’injustices accumulées.
Essirage.net :
Votre mouvement FLAM, a rencontré en France, le président Mohamed
Ould Abdel Aziz, quel était l’objectif de cette rencontre ?
I.M.S :
Ce n’était pas en France ; j’ai rencontré le président de
la république, notre camarade Mamadou Wane et moi, nous avons
rencontré le président ici à Nouakchott, le 28 avril 2013. C’est
une rencontre politique qui s’inscrit dans le cadre des
préparatifs de notre retour ici au pays. Une rencontre politique,
des autorités, toute la classe politique, les organisations de la
société civile, des personnalités, des associations des villages
etc. C’est donc des rencontres tous azimuts pour informer les
Mauritaniens de la décision des FLAM de revenir ici en Mauritanie.
C’est cela donc l’objet de cette rencontre avec le président.
C’est ce même message que nous avons eu avec tous les acteurs
politiques que nous avons rencontrés par la suite. Donc c’est ça
l’objet, informer le président du retour des FLAM en Mauritanie,
informer tous les Mauritaniens de façon générale de la décision
des FLAM de revenir. Et là, ce n’est pas seulement informer mais
de leur dire également quel est notre agenda, notre agenda c’est
que si nous revenons ici dans ce pays, ça devrait être une occasion
pour tous les Mauritaniens de prendre en charge la question, ce que
nous appelons la question nationale et sociale. C’est-à-dire le
problème de la cohabitation entre nos ethnies, entre les différentes
composantes nationales. C’est pourquoi nous revenons, c’est ce
combat là que nous allons mener et nous voulons que tout le monde
prenne ses responsabilités pour que ce problème là soit réglé.
Essirage.net :
Depuis votre retour au terroir, avez-vous rencontré d’autres
personnalités, partis politiques, organisations, et population dans le
cadre de votre mission ?
I.M.S :
Oui, oui bien sûr, nous avons rencontré beaucoup des gens comme je
le disais. Bon, je viens juste de jeter un coup d’œil dans mon
agenda, tous partis politiques confondus, ONG, tout cela nous avons
eu qu’a même une centaine, une grosse centaine de rencontres. A
peu prés 40, 45, 46 partis politiques, organisation de droit de
l’homme, des associations des villages que nous avons rencontré,
individuellement nous avons rencontré des personnalités importantes
ici, des leaders d’opinions, des dignitaires religieux, des
notables politiques environs une cinquantaine des personnes. Et, la
liste continue, puisque nous allons continuer à rencontrer les
Mauritaniens dans leur diversités ethniques, politiques et
d’opinions. Donc des rencontres tous azimuts parce que les FLAM
c’est tout cela. Nous voulons que tous les Mauritaniens se parlent,
c’est en se parlant qu’on pourrait régler notre problème tout
simplement.
Essirage.net :
Allez-vous participer aux prochaines élections (municipale,
législative et présidentielle), et sous quel angle?
I.M.S :
D’abord nous ne savons pas s’il y aura élection, et ensuite, ce
n’est à vrai dire notre priorité. Dans notre ordre des priorités,
les élections ce n’est pas encore cela, notre problème d’abord,
dans l’état actuel des choses, c’est de revenir et rester dans
ce pays là. C’est de restructurer ; de réimplanter ici en
Mauritanie et donc c’est ça notre priorité. Les élections on
verra, pour le moment ce qui nous préoccupe c’est réussir le
retour de notre président, le retour de notre organisation et
ensuite, la priorité pour nous, la priorité politique, pour nous
c’est que des Mauritaniens se parlent pour régler leurs problèmes.
Parce que les élections ça ne règle pas les problèmes de fond.
C’est une erreur que la classe politique pense qu’on peut se
contenter de faire des élections et le plus souvent d’ailleurs en
Afrique c’est parce qu’il y a des problèmes de fond qu’on
ne règle pas et on se contente d’organiser des élections, Ce qui
fait qu’au lendemain des élections il y a toujours des violences
parce que des problèmes de démocratie ne sont pas encore réglés.
Les élections, c’est la consécration de la démocratie. Mais ce
n’est pas cela seulement la démocratie ; la démocratie c’est
quand il y a liberté, la justice et la liberté en un mot la
démocratie c’est un état de droit. Les élections c’est juste
pour confirmer qu’il y a un état de droit, et pour nous en
Mauritanie il n’y a pas d’état de droit. Parce que il y a des
gens qui sont encore dans l’esclavage, il y a des discriminations
raciales. Ça c’est la grande majorité de la population qui est
laissée comme cela en rade. Donc dans ces conditions-là les
élections c’est n’est pas notre priorité.
Essirage.net : Quel est votre lien avec la Coordination de l’Opposition
Démocratique (COD)?
I.M.S :
Lien formel, non, mais nous avons rencontré tous les partis
politiques. Nous n’avons pas rencontré ce qu’on appelle COD en
tant que telle la Coordination de l’Opposition Démocratique. Mais
nous avons rencontré les partis qui composent la COD
individuellement. Donc nous avons des rencontres bilatérales avec
les partis politiques, nous ne les avons pas rencontrés en tant
qu’entité. Nous en sommes là par rapport à ces partis
politiques, nous avons échangé avec ces partis, nous partageons
certaines choses. Comme je l’ai dit, tout de suite, nous ne
partageons pas l’ordre des priorités. Ils sont occupés par un
agenda électoraliste, nous, nous sommes préoccupés par un
règlement de la question nationale de cohabitation de nos
populations.
Essirage.net :
Comment comptez-vous continuer votre lutte ? Allez-vous garder
votre mouvement tel qu’il est ou créer un parti politique ou
s’allier avec d’autres pour continuer votre lutte ?
I.M.S :
Les FLAM vont revenir en tant que FLAM, en tant que organisation
politique dénommée Forces de Libérations Africaines de Mauritanie.
Nous sommes entrain de faire le terrain, nous sommes entrain
d’organiser des rencontres avec nos militants, avec des populations
Mauritaniennes de façon générale. Nous sommes entrain de
rencontrer les acteurs politiques. Nous allons à l’issue de ces
rencontres- là, avec notre redéploiement, nous ferons le point et
nous allons convoquer un congrès de notre organisation pour décider
l’avenir de notre organisation. En tout cas, le combat va continuer
ici sur le terrain.
Essirage.net :
Votre organisation parle actuellement de l’autonomie, pouvez vous
être plus claire sur cette question et comment comptez vous
faire sachant que les negro-mauritaniens sont dispersés un peu
partout sur le territoire mauritanien?
I.M.S :
Bon, nous constatons dans ce pays là qu’il y a un problème de
cohabitation entre les composantes nationales de ce pays. Nous ne
sommes pas le seul pays au monde où il y a diverses populations qui
cohabitent. Nous nous inspirons aussi de ce qui se passe ailleurs,
quand des pays ou des entités ont été confrontés aux mêmes
problèmes que nous avons ici, ils ont envisagé des solutions pour
le régler. Nous, nous avons dit, il faut régler le problème de
cohabitation dans notre pays. C’est un problème réel, un problème
qui a conduit à des drames extrêmement graves, que l’on connait.
Nous ne pouvons pas rester là à faire semblant que tout va bien
alors qu’à tout moment il peut y avoir encore des débordements,
il peut y avoir des événements douloureux. Et les hommes politiques
sont appelés à prévenir des problèmes, à anticiper pour éviter
les drames. Nous proposons des solutions. Jusqu’à présent tout le
monde parle de l’unité nationale mais il n’y a pas de contenu
dans cette unité nationale. Nous nous proposons de donner un contenu
à cette unité nationale pour régler le problème de cohabitation.
Nous pouvons, dans l’état actuel des choses, après avoir constaté
que l’Etat unitaire tel que nous l’avons ici, tel que nous
l’avons hérité de la colonisation, à savoir le « jacobinisme »
qui centralise tout ; nous pensons qu’il y a un échec, que ça
ne marche pas, que ça n’a pas réglé le problème de l’unité
nationale. Et puisque quelque chose ne marche pas, ou on l’améliore
ou on le change. Les hommes sont, les hommes politiques, en
particulier, doivent être suffisamment intelligents et courageux
pour envisager des solutions audacieuses. Nous proposons comme
solution l’autonomie, ce que nous appelons une autonomie régionale.
En Mauritanie, il est normal, il est possible que l’on crée deux
entités autonomes. A l‘intérieur de ces entités autonomes, il y
aura des provinces, il y aura des provinces qui seront chargées de
gérer les différences ethniques, les différences d’identités
nationales. Parce que l’autonomie contrairement à ce que l’on
pense, quand on parle de l’autonomie les gens pensent à la
sécession, c’est une grave erreur. L’autonomie n’est pas
antinomique avec l’unité nationale, au contraire. L’autonomie
permet de consolider l’unité nationale parce qu’il gère les
identités et permet de régler des différences, des conflits qu’il
y avait à l’intérieur d’un Etat unitaire. Donc, nous avons
dit qu’il y aura deux entités autonomes, à l’intérieur de ces
entités-là on va aménager des régions qui vont régler le
problème des spécificités, et donc la dispersion des populations à
l’intérieur des entités autonomes. Non, l’autonomie n’est pas
antinomique avec la libre circulation des populations à l’intérieur
des entités autonomes. Il y aura forcément donc des minorités qui
seront gérées dans le cadre de ces régions, de ces provinces qu’on
va créer à l’intérieur de ces régions autonomes. L’autonomie
en un mot règle deux problèmes : le problème d’unité, il
y aura un seul pays que les gens vont partager, il y aura une
autorité centrale qui va s’arroger des fonctions de souveraineté,
comme par exemple la diplomatie, comme la défense nationale, la
monnaie, ça sera géré par le pouvoir central. Maintenant, il y
aura des délégations de pouvoir au niveau des régions, au niveau
des provinces parce que c’est au niveau des provinces, qu’il y a
des diversités et que ces diversités là seront gérées. Les
populations locales vont prendre en charge leurs affaires
économiques, culturelles et promouvoir leurs langues à l’intérieur
de ces provinces, à l’intérieur de la région. Donc ça règle en
même temps le problème de l’unité nationale et ça règle aussi
ce qu’on a inscrit dans la Constitution, à savoir le droit à la
Différence. C’est l’affirmation et la concrétisation du droit à
la différence, et en même temps en consolidant l’unité nationale
parce qu’il y a quand même quelque chose que nous partageons. Nous
partageons le même territoire et le même désir de vivre ensemble.
Voilà donc, l’autonomie ne devrait pas faire peur, il y a des
détails importants. C’est ce que nous allons proposer comme projet
de société. Ce projet de société sera mis à l’appréciation
des populations et de la classe politique. Au moins, nous, nous avons
le courage de proposer quelque chose pour régler le problème de
l’unité, contrairement à la plupart des acteurs politiques qui
jouent ce qu’on appelle « la politique de l’Autriche »,
faire semblant que tout va bien alors tout le monde sait que ce
problème d’unité nationale là il est réel et il doit être
réglé.
Essirage.net :
Certaines personnes pensent que votre organisation n’est constituée
que des féodaux, d’une seule communauté, particulièrement
Haalpular, et surtout de la région de Grogol, que répondez- vous à
ces gens ?
I.M.S :
Mais, je dis tout simplement qu’ils ne connaissent pas les FLAM.
C’est la réponse la plus simple. Alors composé de féodaux,
qu’est ce que vous appelez féodaux ? Nous nous ne sommes
jamais demandé à quelqu’un c’est-à-dire que nous ne faisons
pas d’enquête pour savoir qui est qui. D’ailleurs, par rapport à
cette question, nous avons l’habitude de dire : Ne nous
demandez pas combien nous sommes ou qui sommes nous ! Le plus
important, c’est de savoir pour quelle cause nous nous battons. Si
cette cause, elle est juste tout le monde devrait la prendre en
charge. Si elle est juste et que les gens savent que c’est une
cause juste, ceux qui n’adhérent pas à la lutte pour cette cause
là, c’est à eux qu’on devrait poser la question pourquoi vous
n’y venez pas ? Mais au contraire, on devrait féliciter tous
ceux qui combattent pour une cause juste. Et la cause pour laquelle
les FLAM se mobilisent, c’est la cause juste ; à savoir qu’il
y a des discriminations raciales en Mauritanie, c’est indéniable,
il y a de l’esclavage dans ce pays. Ce sont des problèmes qui
devraient être réglés et les FLAM ont dédié leur combat au
règlement de ces problèmes. Pour le reste, ce sont des spéculations
qui ne sont pas importantes pour nous. L’important, c’est qu’il
y a une cause et il y a des Mauritaniens, des patriotes mauritaniens
qui s’organisent pour lutter, pour que cette cause là triomphe, à
savoir une cause de justice , d’égalité et de liberté pour tous
les Mauritaniens.
Essirage.net :
Quel est votre position par rapport à l’esclavage en Mauritanie ?
Considérez-vous les harratins comme une communauté différente des
Maures blancs (Bidhan) ?
I.M.S :
Ce n’est pas nous qui devons considérer ; vous savez. Il y a
des populations qu’on constate, qu’il y a diversité ethnique
dans ce pays, il y a diversité raciale. Ce sont les Harratines
eux-mêmes qui doivent s’assumer. Je pense que de plus en plus ils
s’assument comme une identité à part entière. Et nous les
soutenons dans cette revendication pour la reconnaissance de leur
identité pleine et entière. Et je pense que ça ne fait de mal à
personne de reconnaitre les gens dans ce qu’ils sont. Ce serait
dangereux de vouloir réduire les gens aux autres, d’étouffer la
diversité culturelle, d’étouffer la diversité raciale ; ce
sont des faits indéniables. Ce n’est pas parce que nous constatons
que vous êtes peulhs, ou Soninké, ou Harratines, ou Arabes que vous
ne pouvez pas vivre ensemble ; non, nous pouvons vivre ensemble
si chacun est reconnu dans ce qu’il est, dans ce qu’il apporte à
cette unité. Une unité dans la diversité, c’est ce que nous
soutenons. Les Harratins, les leaders politiques harratines ont des
revendications, d’abord, une revendication nationale qui devrait
être assumée par tous les mauritaniens, c’est que les esclaves
soient libérés, que l’esclavage soit complètement éradiqué
dans ce pays. Il existe encore des milliers de populations harratines
qui vivent sous le joug de l’esclavage brutal. Donc nier,
maintenant, en parlant des séquelles, il y a toujours des séquelles
bien sûr, mais, il y a des réalités dures de l’esclavage. Les
esclaves doivent être libérés et que si les Harratines estiment
que c’est une identité entière, et bien ils sont une identité à
part, puisque c’est indéniable.
Essirage.net :
Selon, certaines sources, vous venez d’effectuer un voyage à
l’intérieur du pays. Est-ce que ce voyage rentre dans le cadre du
redéploiement de votre mouvement ou c’est un voyage personnel ?
I.M.S :
Non, non ! Bon je suis ici en mission. Mes déplacements
rentrent dans le cadre des préparatifs du retour de notre
organisation. Nous avons organisé effectivement une tournée à
l’intérieur du pays, notamment nous sommes allés dans le Trarza.
Nous avons visité onze villages composés pour la plupart de
Mauritaniens qui ont été ramenés de la déportation. Nous sommes
allés à leur contact, voir de prés les réalités difficiles
qu’ils vivent. Des réalités qui sont qu’ils ne peuvent pas
encore retrouver leurs villages, récupérer leurs terres de
culture, ils ont le problème d’état civil, de papiers alors que
avant qu’ils reviennent leur problème de nationalité avait été
réglé puisqu’il y a eu des enquêtes pour prouver que c’est des
Mauritaniens. Et pour eux, l’enrôlement devrait juste être une
formalité, mais, malheureusement, ce n’est pas le cas. Il y a des
agents zélés, idéologisés qui refusent carrément de leur
octroyer des papiers mauritaniens. Ils sont confrontés à ces genres
de problèmes-là. Donc nous sommes allés même plus loin, nous
sommes allés à Kaédi et à Sélibabi, nous allons continuer à
aller à la rencontre des Mauritaniens, d’abord pour les informer
de la décision de notre organisation de revenir, et aussi pour
reprendre en main le discours des FLAM. Parce que pendant notre
absence, ou même avant qu’on parte en exile, notre discours était
récupéré par le système, Maawiya en premier pour le manipuler,
pour le falsifier et pour le dénaturer. Le discours des FLAM est un
discours patriotique. Ce discours-là, nous allons le reprendre en
main, nous allons expliquer aux Mauritaniens ce que c’est que les
FLAM, expliquer aux Mauritaniens notre projet de société et nous
allons leur expliquer elles sont nos motivations, nous allons surtout
expliquer aux Mauritaniens que nous avons intérêt à nous parler
entre nous pour régler nos problèmes, parce que nous sommes
condamnés à vivre ensemble dans ce pays qui nous appartient à nous
tous. Donc nous allons continuer à rencontrer les Mauritaniens pour
leur parler, pour leur expliquer à savoir que nous avons l’unité
nationale à préserver et que cette unité ne peut pas se faire si
nous nous ignorons les uns des autres, si nous essayons de réduire
certaines identités, si nous continuons à privilégier le diktat
d’une composante nationale sur les autres, ça pas d’avenir. Les
Mauritaniens, ils sont intelligents, ils aiment leur pays, et ils
peuvent se parler et s’ils se parlent, ils peuvent se comprendre,
s’ils se comprennent, ce pays-là, ils le construiront ensemble
pour le bénéfice des populations mauritaniennes. C’est donc
l’objet de notre tournée à l’intérieur, c’est l’objet de
nos rencontres intérieur même de Nouakchott. Nous avons même été
à Nouadhibou tout au début de notre arrivée, nous avons rencontré
des Mauritaniens, nous leur avons dit le message que nous portons à
l’intention de tout le monde.
Essirage.net :
votre
dernier mot ?
I.M.S :
Juste vous remercier, je viens juste de découvrir votre site et j’en
avais entendu parler. Je sais que les organes de presse sont souvent
appelés le « 4éme pouvoir ». Vous avez un rôle
important à jouer dans l’enracinement de la démocratie en
Mauritanie, dans la consolidation de notre unité nationale. Donc ce
rôle important que vous avez à jouer, vous devez l’assumer en
ouvrant la parole à tout le monde. Nous voyons, par exemple, qu’il
y a une diversité d’organes de presse. Malheureusement, là
encore, nous devons regretter que l’Etat mauritanien ait choisi
encore d’éliminer certaines composantes nationales dans
l’attribution des licences de radio et de télévision, comme si
les autres ethnies n’avaient pas le droit à la parole. Nous
constatons que toutes les radios privées ici sont détenues par une
seule composante nationale. A longueur de journée à la télé, aux
radios on entend qu’une seule langue, une seule diversité. Nous
dénonçons cela avec beaucoup de fermeté parce que cela ne facilite
pas l’unité nationale. Ce sont des frustrations, là des
frustrations de droit à la parole ajoutées aux frustrations
économiques, ajoutées aux multiples autres frustrations que les
populations noires de Mauritanie continuent tout simplement à vivre.
Vous faites et vous jouez un rôle important en accordant la parole à
ceux qui ont besoin de dire des choses aux Mauritaniens. Nous
encourageons cette diversité-là et le rôle que vous jouez.
Continuez à l’assumer, à assumer votre liberté d’informer.
Mais ce que vous avez fait est extrêmement important, c’est aller
à la source, aller au contact des gens pour que vous ayez
l’information tout simplement vraie. Donc si l’information, elle
est vraie, elle n’est pas manipulée, elle participe tout
simplement à créer cet Etat de droit que nous voulons pour notre
pays. Donc nous vous félicitons, nous félicitons vos lecteurs et
les gens qui visitent votre site. Et c’est bien pour notre pays
qu’il y en ait beaucoup plus.
Essirage.net :
Merci beaucoup
Entretien
réalisé par Oumar Moctar M’baye
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