L'engagement peut être entendu au sens de « conduite » ou au sens d'« acte de décision », selon qu'il désigne un mode d'existence dans et par lequel l'individu est impliqué activement dans le cours du monde, s'éprouve responsable de ce qui arrive, ouvre un avenir à l'action, ou qu'il désigne un acte par lequel l'individu se lie lui-même dans son être futur, à propos soit de certaines démarches à accomplir, soit d'une forme d'activité, soit même de sa propre vie.
L'analyse de l'engagement, en l'un et en l'autre sens, porte
d'abord sur les aspects les plus généraux que l'on retrouve dans toutes les
formes d'engagement ; à ce niveau, elle reste forcément formelle. Elle étudie
ensuite les modalités particulières qui qualifient telle ou telle forme
déterminée d'engagement ; elle prend alors une allure concrète.
L'analyse formelle s'attache surtout à élucider deux aspects
caractéristiques de l'engagement : son caractère anticipateur et le
rapport qu'il établit entre l'infinité d'un pouvoir et la finitude d'un objet
déterminé. Elle consistera à rattacher les propriétés de l'engagement à
certaines des structures fondamentales de l'être humain, structure de la
temporalité d'une part, structure de la liberté d'autre part.
La forme concrète d'engagement qui réalise de la manière la
plus radicale les propriétés générales de l'engagement semble bien être celle
qui engage deux êtres l'un vis-à-vis de l'autre.
Parallèlement, il faut souligner que, sous l'influence des
avant-gardes et des bouleversements qui ont marqué l'entrée dans le xxe siècle,
l'engagement a pris une forme littéraire qui s'est affirmée à partir des années
1930. La dialectique de l'être et du faire, le désir de « changer la
vie » ont ainsi conduit de nombreux écrivains – Malraux et Sartre,
notamment – à privilégier un art qui serait aussi action, exercice d'une
responsabilité revendiquée dans et par le combat politique.
L'engagement comme
conduite
La conduite d'engagement est un type d'attitude qui consiste
à assumer activement une situation, un état de choses, une entreprise, une
action en cours. Elle s'oppose aux attitudes de retrait, d'indifférence, de
non-participation. Elle doit, bien entendu, se traduire par des actes, mais, en
tant que conduite, elle ne s'identifie à aucun acte particulier, elle est
plutôt un style d'existence, une façon de se rapporter aux événements, aux
autres, à soi-même.
On peut distinguer, dans l'engagement-conduite, trois
composantes particulièrement importantes : l'implication, la
responsabilité, le rapport à l'avenir. Celui qui, en face d'une situation donnée, adopte une attitude d'engagement prend pour
ainsi dire cette situation sur lui, se sent et se déclare concerner par elle.
Il est porté par le sentiment d'être impliqué dans ce qui se passe, et le
comportement qu'il adopte traduit objectivement ce sentiment et le lie de façon
effective à la situation qu'il assume. On peut naturellement être pris dans une
situation de façon passive, soit qu'on n'en soit pas conscient, soit qu'on se
sente impuissant à la modifier, soit qu'on accepte de se laisser modeler par
elle sans intervenir. Dans ce cas, l'être de la situation reste extérieur par
rapport à l'être de celui qu'elle concerne. L'implication, au contraire,
effectue un recouvrement de ces deux êtres : celui qui s'engage inscrit de
façon active son être dans la situation et, en même temps, il l'assume dans le
mouvement de sa propre existence, lui prêtant pour ainsi dire sa substance et
faisant désormais dépendre son sort de ce qui adviendra du destin extérieur
qu'il a pris en charge.
Or les situations qui peuvent requérir notre engagement ont
toujours une signification proprement humaine ; elles ne sont pas simplement
des configurations naturelles, elles mettent en jeu d'autres vies. Cela
signifie deux choses : d'une part, qu'une telle situation n'est jamais une
sorte de p […]
2. La littérature engagée
La littérature engagée est un phénomène qui n'appartient pas
exclusivement à notre temps. Mais la prise de conscience, à la fin du xixe siècle,
de la spécificité de la « littérature », en opposition avec le
langage utilitaire, va conduire le siècle suivant à des attitudes extrêmes.
Écrivains et critiques oscillent entre une conception de l'œuvre comme fin en
soi et un rêve d'efficacité, de prise directe sur le monde. L'œuvre devient,
dans le second cas, une arme idéologique tournée vers la vie sociale,
politique, intellectuelle ou religieuse du moment. Au xixe siècle,
l'écrivain se voit déjà en « mage » ou en témoin privilégié. Mais, défenseur
de valeurs humanistes ou esthétiques intemporelles, il tient le monde réel à
distance, la gratuité de l'œuvre étant le garant de sa spiritualité et la
manifestation de sa rupture avec le temporel. Cette distance au monde
s'accentuera avec la génération symboliste et post-symboliste. La recherche par
Marcel Proust du salut par l'art est le couronnement de l'attitude de cette
génération d'avant-guerre. Mais les intellectuels écrivains de
l'entre-deux-guerres et au-delà, jusqu'aux années 1960, ne se contentent plus
d'être des clercs au service de l'art ou les défenseurs de valeurs
transcendantes. Ils vont au contraire empoigner la réalité et l'actualité à
bras-le-corps et intervenir directement par leurs écrits et par leurs actes.
Plusieurs facteurs ont entraîné ce renversement d'attitude.
• Le culte de
l'action
Les hommes de lettres ont été attirés vers l'activisme. Par
suite de circonstances politiques et sociales qui ont fait revivre le souvenir
du rôle positif joué par eux dans le passé, durant les époques troublées de
notre histoire (en particulier la Révolution française), et qui ont rendu très
présents aux esprits certains destins exemplaires, les rêves d'action, avec
l'illusion d'efficacité immédiate qu'ils apportent, ont séduit toute une génération.
Ce nouvel état d'esprit s'est manifesté dès le début du siècle dans les
L’implication sociale ou politique de l’écrivain, dans ses interventions publiques ou à travers ses livres, est ancienne. Mais à la notion polémique de littérature engagée doit peut-être aujourd’hui se substituer celle, plus complexe et plus souple, d’engagement littéraire.
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