samedi 19 décembre 2015

Lamine Kane, entre ciment et belle étoile.

Né en 1974 à Nouakchott, Lamine part vivre à l'âge de 6 mois au Sénégal où il passe une enfance heureuse parmi ses frères. En 1992, il délaisse les études et quelques jours après l'ouverture des frontières, il revient aux sources, en Mauritanie. Les événements de 1989 l’encouragent à découvrir et mieux comprendre le pays d'où il vient. Métis, de père Al Poular et d'une maman Maure, il s'immerge dans la culture de ses deux familles et découvre les multiples facettes de son pays d'origine, tout en s'accrochant à sa liberté de penser et d'être. Il reprend des études de comptabilité de 1993 à 1994. Ses premiers amis mauritaniens sont les frères Athié, qui l'initient à la musique et il «tombe dedans». Ainsi il apprend à jouer de différents instruments, remplace les musiciens dans les groupes lorsque c'est nécessaire. Il apprend également l'organisation, la production et la mise en scène. Lorsque la fratrie Athié se dissout à travers le monde, Lamine poursuit son parcours musical avec Dandé Jam, Rippo, ngatamaré rippo, Kodé Pinal, Malouma, Howl blues, Mbeuguel Africa, Noura Mint, Walfadjiri.... En 2004, lors d'un atelier à Boston avec Malouma, il apprend la théorie de la musique et son écriture grâce à des ateliers organisés par des partenaires français et décide à son tour d'enseigner pour parler le même langage que les musiciens internationaux et le transmettre aux jeunes de son pays. Avec Walfadjiri, pour parer au manque d'instrumentistes en Mauritanie, il créé un centre de formation car ce sont toujours les mêmes musiciens qui jouent dans les différents groupes de la place. L'idée est de renouveler ce milieu culturel qui tourne sur lui même. On compte actuellement plus de 200 élèves inscrits dont une majorité d’élèves réguliers qui travaillent à devenir professionnels grâce aux cours du centre de formation de musique et de gestion des techniques du spectacle. Lamine regrette que l'industrie musicale soit quasi inexistante en Mauritanie. Il manque toujours des musiciens, peu de groupes sont ouverts aux musiques actuelles, chacun joue sa musique communautaire, exceptés quelques groupes qui jouent tous les types. Il faut brasser, métisser, mais pas sans l'accompagnement des institutions et les structures, le manque de salles de spectacles, de studios, de centres de formation pour les musiciens et les techniciens qui sont pour la plupart autodidactes. Le terrain est méconnu et les investisseurs sont frileux. Le peuple ne demande rien et les institutions doivent proposer des solutions. Les besoins sont nombreux en matériels, en ressources et en formation. Selon lui, en Mauritanie, «Notre problème il est culturel et il faut absolument le régler pour dépasser cette question d’unité nationale, du vivre ensemble, du faire ensemble. La rencontre n'a pas eu lieu, il y a une plaie qu'il faut soigner. Je n'ai jamais su ce qui s'est passé exactement après les indépendances, on en a jamais parlé dans ma famille, pourtant, le besoin de reconnaissance, de vérité et de pardon est nécessaire pour assainir la conscience collective du peuple mauritanien, nous aurions pu tirer les leçons et surtout tirer un modèle avec l'Afrique du Sud pour aboutir à une vraie réconciliation nationale. Tant que les vérités ne sont pas dites et reconnues, la Mauritanie restera divisée au sein même de ses groupes ethniques et entre ses groupes. Chacun doit reconnaître ses responsabilités et demander pardon, tant que justice ne sera pas faite c'est peine perdue. Il faut que nous lavions notre linge sale entre nous d'abord et entre communautés ensuite. Et aussi arrêter avec les histoires de «casting» celui là est forgeron, celui là est noble, celui là est pêcheur... Les étiquettes nous empêchent d'évoluer, nous sommes en 2015, il faut que ça s'arrête ! Nous devons devenir constructifs, tolérants et ouverts, cela manque d'Humanité, nous souffrons d'un «mal-dit» que l'on appelle «hypocrisie». Ces clivages meurtrissent notre pays et entretiennent les plaies douloureuses du passé. Lamine a construit sa liberté, profondément humaniste, il est déçu par les relations dans lesquelles il a évolué. Des projets démarrés à zéro et à chaque fois que les portes étaient prêtes à s'ouvrir, tout s'est effondré en raison d'égoïsme. Aujourd'hui, ses projets s'articulent autour du festival des «musiques métisses» dont il est l'initiateur, et le groupe l'Harmatthan qu'il suit depuis 4 ans. Le groupe prépare actuellement l'enregistrement de son premier album et concourra au prix RFI 2016. Lamine reste engagé, actif et malgré les épreuves, continue de travailler pour le devenir d'une Mauritanie unie et solidaire à l'aide du langage universel de la musique. Les valeurs qui le portent font de lui un homme droit et sincère qui aspire à vivre dans un pays en paix et plus juste. Humblement, il poursuit son combat avec à ses nobles aspirations, ce qui inspire beaucoup de respect à l'égard de ce musicien qui transmet sa passion. Nous lui souhaitons pour lui même d'abord et pour ses projets, le meilleur pour l'avenir.
Magali Boivert

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